jeudi 14 avril 2011

William Henry Rankin - Orage, Ô Désespoir

Bon alors je me contredis dès le premier message, comme ça t'y réfléchiras à deux fois avant de croire à mes conneries. Je ne vais parler ni d'un livre, ni d'un film, ni d'un disque, mais du Lieutenant Colonel William H. Rankin, de l'US Marine Corps. Lui aussi a traîné dans l'interzone.

On est en 1959 entre le Massachussets et la Caroline du Nord, où cet aviateur de 39 ans (on l'appellera Billy), vétéran de la 2de Guerre Mondiale et de la guerre de Corée, effectue un petit vol pépère pour garder la main. Le météorologiste de sa base l'a averti de quelques orages anodins sur la route, mais bon, son jet peut monter à 15000m d'altitude, donc les orages, ce bon vieux Billy s'en tamponne le coquillard.

Il arrive vers Norfolk en Virginie, quand il aperçoit un cumulonimbus en plein orage, une belle saloperie de quatorze kilomètres de hauteur, en train de pisser dru sur ce charmant petit bled et ses habitants tendres et rieurs. Un cumulonimbus en plein orage, ça ressemble à ça :



















Un peu flippant quoi, mais pas pour Billy Rankin, il a des médailles le mec, il a abattu des Japs en plein air avec une aile en moins, étranglé des communistes avec les sangles de son parachute en plein atterrissage, enfin il a de la bouteille quoi, et des cojones en fer forgé.

Donc tranquilou, il passe au-dessus, genre 600m au-dessus, pour être sûr de pas prendre de risques. Et là, juste au-dessus du sommet de la tour de nuages, v'là-t-y pas que son avion cale et s'arrête, et le voyant rouge "FIRE" de clignoter. Une petite goutte de sueur perle sur sa tempe là quand-même, au Lieutenant Colonel. Mais bon après tout c'est qu'une panne de moteur, il suffit d'actionner l'électricité de secours. Oui mais là, le levier lui reste en main. Bon.

Alors à cette altitude, il fait dans les -50°, et la pression est ultra faible. Billy est vêtu d'un petit blouson d'été, hawaïïen comme je me plais à l'imaginer, et bien sûr n'a pas de scaphandre sous la main. Il sait qu'il doit s'éjecter, et se voit déjà exploser sous la décompression comme ces poissons qu'on essaie de remonter des abysses. Sans parler de l'orage juste sous son cul. Donc il se dit putain, ce matin encore j'étais en train de bouffer mes Weetabix au chaud devant la TV, comment j'en suis arrivé là ? Quoiqu'il en soit il n'a pas le choix, et à 18h, Billy s'éjecte et commence à descendre vers l'orage.

"J'avais l'impression d'être une pièce de boeuf ballottée dans un gouffre glacial", qu'il dira un peu plus tard. Un poète ce Rankin. Tout son corps se gèle hyper vite (genre vraiment, du gel sur la peau quoi). Et puis il y a la décompression. Son ventre se met à gonfler jusqu'à doubler de volume, au bord de l'éclat. Il a l'impression d'être enceint, ou un crapaud gonflant sa gorge jusqu'à avoir la peau tendue comme un djembe. C'est la douleur la plus forte qu'il n'ait jamais ressentie, pire que les branlées humiliantes que se prenaient les Red Sox contre des équipes de nègres dans les 50's. Puis il se met à saigner du nez, dez yeux, des oreilles.

5 minutes se sont déjà écoulées, et il atteint le sommet du nuage, il ne voit plus rien. Il chute comme ça pendant quelques minutes, perdant toute notion de temps et d'espace. Quand son parachute s'ouvre automatiquement, il pousse un soupir de soulagement. L'air devient respirable, et la température un peu moins mordante (il doit faire dans les -10°). Le plus dur est passé et il est toujours en vie.


Oui mais non, parce qu'il arrive dans l'orage. Et là, au lieu de continuer à tomber, il est ballotté de haut en bas par les courants d'air, mais littéralement, genre il remonte parfois de plusieurs dizaines de mètres avant de retomber, et ainsi de suite.  Et les grêlons, qui à cette hauteur sont carrément des cailloux de glace, tout autour de lui font de même, en lui lacérant la face au passage. Billy commence à croire qu'il va rester en l'air comme ça pour toujours, un genre de supplice prométhéen. En plus les grêlons risquent de crever son parachute.

Vu qu'il tourne sur lui-même depuis pas mal de temps, il se met à gerber. Et ferme les yeux, à la fois parce qu'il flippe sa race, et pour éviter qu'ils ne soient crevés par la grêle. Quand il les rouvre, il se trouve dans un interminable tunnel noir, en plein coeur du nuage. "C'était un déchaînement de la nature, une horrible cage noire remplie de fous hurlants, enragés et frénétiques... me donnant des coups de bâton, me hurlant dessus avec des cris stridents, essayant de me broyer ou de me déchirer de leurs mains." Et là, bim, le tonnerre et les éclairs.


Les éclairs vu de l'intérieur du nuage, c'est des saloperies de lames bleu électrique d'un mètre d'épaisseur, qui te découpent comme un bout de thon rouge chez un maître sushi. Et le tonnerre, tu ne l'entends pas, tu le sens. Un genre de bruit marron si tu veux, qui te remue les tripes en profondeur. Tous ses muscles font du booty-shake et ses organes internes aussi, il vomit ce qu'il lui restait à vomir au passage. Pendant qu'un éclair frappe son parachute, Billy retient sa respiration pour ne pas se noyer dans la pluie (oui car quelques kilomètres plus bas, les grêlons fondent et se font pluie - torrentielle évidemment).


Quelques minutes plus tard, il est réveillé par le choc de sa tête qui percute un arbre. Il est sorti du nuage, et s'est échoué la tête la première dans une forêt de pins. Grelottant, trempé jusqu'aux os, tapissé de gerbe, le casque défoncé par le choc et des larmes de sang en train de sécher sur ses joues, il a survécu. Quasi-indemne. Il est 18h40.

Voilà pour la petite histoire de ce qui arriva à William H. Rankin ce jour-là. Etonnant, non ?




















Il reste le seul être humain à avoir traversé un cumulonimbus et à y avoir survécu. Il a fait la une des journaux, et en a fait un bouquin, "The Man who Rode the Thunder", que je te conseille. Un bestseller  pendant quelques mois. Puis il s'est remis à voler dès sa sortie de l'hôpital, jusqu'à sa mort en 2009, cinquante ans plus tard.

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