samedi 16 avril 2011

"Der Müde Tod" (Fritz Lang)

Bon, alors pour ta gouverne, je suis un branleur, j'attends le RSA tous les mois comme un oisillon dans son nid, et du coup j'ai le temps de fréquenter des endroits superflus comme la Cinémathèque de Toulouse.

Et grand bien m'en fasse j'ai envie de dire, parce que ce moment que j'ai passé hier soir face aux Trois Lumières (aka Der Müde Tod) de Fritz Lang, je te le troque quand tu veux contre un mois d'intérim et de frustration rémunérée.

C'est donc un film de 1921 réalisé par un borgne allemand que j'affectionne dans mon coeur. Le titre français, Les Trois Lumières, est un peu foireux et sonne très maçonnique, enfin c'est son titre et voilà quoi, on la ferme. Je préfère de beaucoup le titre original, Der Müde Tod (La Mort Fatiguée), qui est en fait, eh bien le titre du film tout simplement.

Fritz Lang à l'époque :




















Un look un peu bobo ouais, mais à l'époque où ça en jetait.

Revenons-en au film. C'est l'histoire de la mort, en gros pour résumer, et de son négatif : la vie. Oui, rien que ça. Il faisait des films ambitieux ce mec à l'époque, et avait le culot de les réussir en plus.

Le synopsis en gros (et gras) :

La Mort (incarnée ici dans Bernhard Goetzke, aussi terrifiant qu'émouvant) est crevée comme le dit le titre, et se faisant passer pour un simple voyageur, achète un terrain juxtaposant le cimetière d'un village allemand quelconque. Pour souffler un peu et s'isoler à la campagne, oublier un peu tout ce sang versé.

La Mort :


















Les villageois sont vite médusés en voyant que le mec a bâti un mur tout autour du terrain, sans aucune porte ou entrée. Il y en a pourtant une, qu'il leur répond, mais lui seul la connaît.

La Mort qui se fait chier devant son mur (elle trace dans la terre des signes kabbalistiques assez fun avec son bâton en fait) :
















Evidemment, la Mort qui s'installe dans ton village, il faut bien qu'elle continue à faire son boulot. Une jeune fille un peu trop passionnée en fait la douloureuse expérience, quand son cheum se fait faucher comme ça, gratuitement. Elle décide alors d'avaler un triple shooter d'arsenic pour le rejoindre. Et là, paf dans ta gueule, l'une des plus belles scènes du cinéma.

Elle découvre l'entrée dont parlait l'étranger, qui est réservée aux esprits des morts. Une foule de fantômes sur-imprimés, tous sapés aux modes d'époques diverses, traversent le mur l'un après l'autre. Dans la foule de fantômes qui pointent dans la queue, elle reconnait son amant et décide de le suivre.

La Mort l'envoie gentiment chier, son heure n'est pas encore venue. Mais après les supplications lascives de la nénette amourachée, Elle compatit et lui dit qu'Elle rendra la vie à son bogoss si elle arrive à sauver l'une des vies parmi trois qu'Elle a déjà condamnées.
















Ensuite donc, la gentille fille se retrouve dans trois époques et lieux différents (Bagdad au XIXe siècle, Venise au XVIIe et la Chine quelque part dans le Moyen-Age). Un genre de Chrono Trigger avant l'heure si tu veux, concept un peu inspiré de l'Intolerance de Griffith, et inspirateur du Three Ages de Buster Keaton, entre autres.

Je zappe les trois mini-histoires, pas que ça à foutre. En gros elle tente de sauver un type à chaque fois, mais la Mort finit toujours par gagner (malgré Elle, et avec un air profondément désolé toujours, c'est très bon).

Donc elle a perdu, et la Mort lui offre une dernière chance : la poule peut lui offrir une autre vie à la place de celle de son amant. Elle cherche en vain, le clodo, les vieillards lui répondent tous "Pas une minute! Pas une seconde! Pas un souffle!", et ils ont bien raison. Elle finit par s'offrir elle-même à la Mort, qui les emporte elle et son amant retrouvé vers d'autres contrées.



















Une merveille, vraiment. C'est drôle aussi de voir le penchant précoce de Fritz Lang pour le film d'aventures, qui s'exprime à donf dans les 3 histoires - la chinoise surtout, qui rappelle clairement ses films dits "de genre" des 50s. Enfin c'est déjà très clair dans les Nibelungen ceci dit.

Un film ultra-tragique (ultragique tiens, un néologisme cadeau), dans la pure veine du romantisme allemand. Le fantastique aussi, finalement très présent, est très romantique est très Allemand. Ce film est taxé d'expressionisme un peu partout, mais franchement, non. C'est du Goethe et du Hoffmann pure souche.

L'expressionisme, Fritz Lang en a tout de même été témoin à l'époque, acteur même, et on en voit bien l'influence -  son style est radicalemment différent de celui qu'il affectait dans ses films plus précoces.  Mais l'empreinte d'un Bunuel ( celui des débuts) est encore plus prégnante que celle de Caligari ici, je trouve. Le film n'est pas franchement surréaliste, mais clairement symboliste. Ce qui revient dans l'ensemble au même d'ailleurs, parce que bon, les Surréalistes restent des Symbolistes refoulés, peut-être un peu plus mutins mais quoi, merde. Non ?

Enfin tout ça, voilà ce qu'il en pense l'ami Fritz :















Tout ça pour dire que ce film, une sorte de bréviaire magnifique de la vie et du destin, compatissant mais implacable, mérite sérieusement d'être vu.

Après, on peut aussi en faire une analyse féministe à la mords-moi-le-noeud, la preuve : http://cgheselle.over-blog.com/categorie-701923.html

Mais ce blog est encore tout jeune, et on ne se connait pas assez, pour que je te fasse des analyses en profondeur.

(si tu veux me mordre le noeud par contre, t'as qu'à lâcher un commentaire et je te filerai mon numéro)

Le film est mattable au fait si ça te branche - les intertitres sont en allemand et les sous-titres en espagnol -  mais ils ne sont pas indispensables :

http://www.dailymotion.com/video/xwhhf_der-mude-tod-12_people (1/2)
http://www.dailymotion.com/video/xwhfm_der-mude-tod-2-2_people (2/2)

4 commentaires:

  1. Tiens un Fritz Lang que je ne connais pas (encore) il va me falloir réparer au plus vite cette erreur ! Biizz

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  2. ouh, qu'il est vilain ! Au passage je te signale quand même que cette analyse est un des sujets qui a été apprécié par l'universitaire Noël Burch (mon prof en fac de cinéma) auteur de nombreux ouvrages comme "Praxis du cinéma", "La lucarne de l'infini", "Revoir Hollywood" et bien d'autres) J'ai obtenu un 15 avec ses félicitations !!!
    Alors ton commentaire à la ...Comment tu dis déjà ? Lol
    Allez, va, je ne t'en veux point !
    Catherine, du blog référencé plus haut ;)

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  3. Pardon, j'écris ivre en général, d'où le ton agressif (si si, c'est une excuse, je m'en sers tous les jours). Si j'ai cité ton article c'est que je l'ai lu ceci dit, et il m'a passionné. Tu soulèves beaucoup de points très intéressants.
    Il m'a pourtant laissé acerbe car je pense qu'on peut faire ce genre d'analyses (je ne parle pas du "féminisme", mais de se braquer sur un seul aspect) sur à peu près n'importe quel film, et que ça n'apporte pas grand-chose. Je peux faire ce reproche à de nombreux critiques hein, l'analyse thématique est facile à faire, et c'est un jeu intellectuel très agréable, mais c'est une façon de ne pas entrer dans le vif artistique du sujet.
    Mon article n'apporte à peu près rien ceci dit, je te le concède.

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  4. Mais merci, tu viens de me rappeler que j'avais un blog il y a deux ans ! Et félicitations pour ton quinze !

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